Elle levait les bras au ciel en un mouvement lent, fluide. Les vacances d’été venaient de commencer. Sur sa véranda, haltères, corde à sauter, tapis de yoga avaient été installés à la va-vite pour répondre à cette envie pressante : bouger. Elle n’aimait pas rester en place. Les dunes de sables étaient son terrain de jeu favori, et les chemins rocailleux, ses instants de liberté. Il n’en avait pas toujours été ainsi. Durant de longues années elle avait été le symbole même de la jeune femme timide et confinée dans sa maison et dans sa chambre. Elle restait allongée durant de nombreuses heures à rêver. Elle était une idéaliste et le fait même de se retrouver dans un monde imparfait était une violence, un crime qui restait malgré ses efforts d’imagination, impuni. Alors elle s’inventait des vies, des amours, des voyages qu’elle ne ferait jamais, jamais car la peur était trop grande d’être happée brutalement par ce monde imparfait qui ne lui donnait rien mais prenait tout. Les murs s’étaient inconsciemment construits entre elle et la réalité. Ces 9 m² étaient son domaine privilégié jusqu’à ce jour étrange. Elle s’en souviendrait toute sa vie de ce lundi qui avait fait basculer sa vie. Les murs de sa chambre étaient décorés de nombreux poèmes et elle en avait accroché un ce matin-là.
Vide vie
Pourquoi ne m’apportes-tu que tracas
Dans ces moments de vie
Sans égard pour mes rêves
Je m’enfouis dans ce tourment
Et je respire ma détresse
Les mots s’alignaient comme les vêtements sur une ligne, et s’étiraient longuement. Mais ils avaient un sens douloureux. Sa vie était sans rime, sans raison, sans option. C’est à cet instant, alors qu’elle mettait un morceau d’adhésif sur sa feuille froissée qu’un bruit se fit entendre, il allait pleuvoir. Le temps était gris, et les nuages n’attendaient que peu de choses pour enfin déverser leur fluide. Quand soudain une lumière frappa, puis une autre. L’arbre qui se trouvait devant sa chambre était en feu. Avait-elle appelé les pompiers ce jour-là, elle ne s’en rappelait pas, mais elle avait marché jusqu’à ce phénomène pour observer cette destruction naturelle. Là, dans cet arbre elle avait vu une silhouette. Elle en était certaine. Pourtant quand elle fut si près que la chaleur la faisait suer à grosse gouttes, elle ne vit rien. Il n’y avait que cendres et couleurs orangées qui l’accueillaient à bras ouvert. Elle se détourna donc de la chaleur insupportable, mais immédiatement la silhouette réapparut. Elle était bien là cette femme, elle l’avait bien vu. Quand elle regarda à nouveau elle fut certaine que cette femme criait, hurlait de douleur dans cet enfer. Ses traits étaient à peine visibles, pourtant elle la reconnut. C’était elle. Elle était cette jeune femme qui brûlait, qui souffrait. Était-ce un présage, ou bien simplement un mirage, elle ne saurait le dire. Mais bientôt la femme disparut dans les flammes et elle se trouva entourée par ses voisins qui s’étaient approchés en la voyant trop près de l’arbre.
Ce fut une révélation. N’était-elle pas comme cette silhouette en train de mourir. Oui, elle s’éteignait dans cette chambre qui était devenue malgré elle, une prison embrasée. Elle devait s’en défaire à tout prix et se libérer.
Les jours suivants, elle dormit sur son canapé, et résistait à la tentation de rejoindre ce refuge qu’elle connaissait par cœur. Quand l’envie devint trop forte, elle alla se réfugier sur sa véranda et respira. Elle passait ses journées, assise sur la pelouse, et enfin les rayons du soleil touchaient sa peau comme une douce caresse, puis elle ouvrit son portail et marcha dans son quartier paisible, puis plus loin. Elle ne tentait plus d’obtenir la perfection, mais se délectait des petites fissures.
Enfin elle vivait.